L’opéra funèbre de Jesse A. Fernandez

Michel Nurisdany

Le cimetière souterrain des capucins abritant à Palerme 8.000 momies est l’un des lieux les plus étonnants d’Italie. Devant pareil sujet le photographe Jesse A. Fernandez aurait pu se laisser aller à nous montrer de manière anecdotique d’insolites images de macabres incongruités, des clichés superficiels et brillants. Il a été plus loin, infiniment plus loin.
Comme l’explique remarquablement bien Dominique Fernandez dans sa préface, les propriétés miraculeuses de l’endroit furent découvertes au XVIe siècle. Les corps restaient intacts des dizaines d’années après que la mort les ait saisis. Ayant remarqué cela, les religieux d’y firent enterrer puis, une espèce de mode s’en mêlant, on ouvrit le cimetière à toutes les catégories de défunts. Mais, note Dominique Fernandez, les capucins « au lieu de laisser les morts enfouis dans le tuf apaisant de leur sous-sol les sortaient au bout d’un an pour leur faire subir les épreuves de l’eau (bain de vinaigre et d’aromates), du feu (exposition au soleil) et finalement de l’air, destination ultime des cadavres » et il ajoute « les morts du cimetière des Capucins à Palerme ne sont pas des morts au repos, Jesse A. Fernandez les a saisi remarquablement dans leur inquiétude, leur désarroi. »
Au long des couloirs désolés voici en effet, accrochés aux murs, presque pendus, l’orbite béante, les maxillaires ouverts en d’effroyables rictus, l’occiput encore recouvert parfois d’une touffe de cheveux, des squelettes pathétiques, inquiétants et bizarres revêtus d’habits tombant plus ou moins en lambeaux tordus, crispés dans les attitudes les plus troublantes.
Jesse A. Fernandez n’a pas joué la carte du sensationnel ou du document objectif et glacé. Il a composé une admirable série d’images formant un opéra fabuleux et funèbre où la mort trône, ricanante et royale.

Michel Nurisdany
dans Le Monde, 1981